Envol d'une traverse de chemin de fer

Qu'il y a t-il sous cette pierre qui dépasse, là haut, sur le coteau, environ 20 mètres au dessus de la boulangerie? Le 15 décembre 2007, alors que je voulais observer de près un affleurement rocheux que je distinguais d'en bas, sa zone d'ombre en dessous, que je me disais être une grotte ; je fis une découverte tout autre.

Parti du sentier surplombant Orival, au dessus de la boulangerie, j'avais repéré quelques arbres spécifiques, me permettant d'opérer une descente assisté d'une corde. mon but comme vous pouvez le voir sur la photo, ne valait pourtant pas le déplacement... un tas de caillasses, pas de gros creux... dommage...

En remontant à l'aide de la corde (à droite sur la photo), un gros bout de ferraille rouillé éveille mon attention, je gratte. Je pense à un explosif trop enfoui, je ne distingue même pas que la surface que je dégage est plate, je découvre une espèce de "téton" sur cette surface, là, c'est plat.

Je continue à gratter, ça à l'air lourd, mais les bords sont recourbés, TILT! c'est une traverse de chemin de fer... le "téton" c'est l'écrou de fixation du rail, je tire dessus pour le déterrer complètement, fier de ma trouvaille, je pense d'abord à la remonter... mais pour quoi finalement? Après tout j'ai un appareil photo...

Voilà donc l'objet, un tiers de traverse de chemin de la première moitié du 20ème siècle, observez celles de l'ancienne voie Rouen-Orléans ; ce sont les mêmes, boulon compris. Mais que fait une traverse de chemin de fer 20m plus haut que la voie ferrée la plus proche, et surtout à 200 ou 250m de celle ci?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aujourd'hui, quand on se pose une question, on a le choix, soit on demande à google, soit on demande à un aîné, dans le cas présent, je sentais bien que google risquerait de ne pas m'être d'un grand secours, par contre des anciens, j'en avais plein 20m ou 30m plus bas, me voilà donc redescendu Rue Richard Coeur de Lion dans Orival.

La réponse fut rapide... à 250m de la voie ferrée, mais coté route des roches, on m'a dit... "oh ben tu sais, quand j'ai fait la maison, on a trouvé des bouts de pont dans la cour" on me parlait bien là du pont de la ligne Rouen-Caen. 250m ;  une traverse de chemin de fer? / 250m ; des bouts de pont...? REPONSE :

L'histoire nous ramène pendant la seconde guerre mondiale :
- Les Allemands occupent le secteur d'Elbeuf dès les 8-9 ou 10 juin 1940
- "Vers la fin de la nuit du 8 au 9 juin 1940, le Génie avait fait sauter l'arche du pont de chemin de fer coté Orival, l'explosion eu pour effet de casser tous les carreaux et découvrir plus ou moins les toitures dans un rayon de 500 à 800m."* ; est-ce cette explosion qui est à l'origine de l'envol de pièces métalliques?
- Pendant l'occupation, les Allemands reconstruisent le pont de chemin de fer entre Orival et Saint-Aubin.
- "En avril 1944, les Allemands, prennent possession d'une bonne partie de la route des roches sur 1500m à partir du bout de la Rue Richard Coeur de Lion, vers Oissel. Ils démarrent le percement d'une galerie principale avec des salles en arêtes de poisson, cet ensemble devait être desservi par un train."**
- "Le 7 mai 1944 inaugure une série d'attaques sur les ponts, destinés à empêcher les déplacements et ravitaillements des troupes Allemandes" ; " Les avions attaquent en piqué perpendiculairement au pont, Les batterie de DCA au bas du château du Pavillon et sur l'usine Rhône Poulenc, tirent toutes ensemble mais ne touchent aucun appareil. Certains de ces avions mitraillent au passage ces batteries. Le tablier est tordu et les rails tordus dans tous les sens."*** ; je doute que ce soient les attaques aériennes qui aient contribué à l'envol de la traverse de chemin de fer, d'autant plus que les traverses remontées par les Allemands ne sont pas forcément identiques à celles utilisées avant la guerre.

Sur ces anecdotes, je laisse réfléchir le lecteur, les générations qui lisent ces lignes et qui n'ont jamais connu de guerre ne doivent, je pense, pas le regretter...

 

* réinterprétation de "Orival un siècle", par Michel Gosse ; p. 212
** réinterprétation de "Orival un siècle", par Michel Gosse ; p. 243
*** réinterprétation de "Orival un siècle", par Michel Gosse ; p. 245