Le passage à bateaux

Extrait de "Orival, un siècle 1890-2000" par Michel Gosse, p.81

"Les "voies romaines" nous apprennent qu'il en existait plusieurs dans notre région. La direction principale de Rouen vers le sud était assortie de voies secondaires servant aux dessertes des principales agglomérations. Cependant l'une  d'elle présente une énigme : elle traverse en biais l'isthme de Moulineaux au Nouveau monde (...) avec une ligne droite d'environ 4 kilomètres et large de 30 mètres. Cette voie aurait elle servie aux Romains pour transborder du fret puis aux Normands pour passer leurs bateaux alors que l'on pense qu'ils sont passés par les "Longs-Vallons"?
Ce qui est certain c'est que ces Normands ont assiégé Rouen par l'Ouest et l'Est, et ont passé leurs bateaux de Grand-Couronne et Moulineaux vers le Nouveau monde. (...)"

Par ailleurs, il est raconté dans les ouvrages de M. Saint-Denis que de nombreux objets d'origine Franque furent retrouvés en forêt de la Londe puis dans le port du gravier lors des dragues qui eurent lieu à cet endroit à la fin du XIX
ème siècle, nos historiens locaux auraient-ils confondus les deux époques?

Même si l'existence du passage à bateau est explicitée dans de nombreux ouvrages qui ont tendance à se copier les uns les autres, il ne faut pour autant pas voir dans les talus décrits une quelconque existence d'un passage à bateau. En se rendant sur le site et en en parcourant l'ensemble on voit distinctement que d'une part, le trajet emprunté est impropre à un tel trafic, mais qu'en plus il y avait plus court! Lorsque l'on connaît la géographie des lieux, cette vision semble surréaliste, puisqu'il leur fallait franchir les marais du bord de Seine à Moulineaux (qui sont en eux mêmes un barrage!), puis franchir le versant jusque dans la forêt, descendre, franchir le Mont à la chèvre, pour redescendre en pente plus ou moins douce vers le nouveau monde. Il ne s'agit pas là, bien évidemment de contester les textes de nos prédécesseurs, mais bien le rapprochement, certainement un peu rapide, qui fut fait entre texte et vestiges du site.

Ainsi nous nous devons de citer une partie de ce qu'explique M. Schneider dans un extrait du bulletin de la Commission départementale des antiquités de la Seine-Maritime sur le dispositif défensif antique du Rouvray : (...) mise en évidence d'une ligne défensive reliant les deux points les plus rapprochés de la boucle et s'appuyant sur un imposant oppidum de 35à 40 hectares. Ce n'est pas un dé couverte physique, les éléments principaux du dispositif sont trop importants pour passer inaperçus et ils étaient connus depuis longtemps des archéologues, mais ils avaient donné lieu à des interprétations plus ou moins fantaisistes, souvent contradictoires, et aucune corrélation entre eux n'avait été retenue.

Henri Saint-Denis faisait de l'ouvrage barrant la presqu'île un chemin pour bateaux qu'auraient emprunté, en 1418, les navires que le roi d'Angleterre, Henri V, fit passer par voie de terre de Moulineaux à Orival pour mieux assurer le siège de Rouen à l'amont de la cité.

Dans une communication qu'il a faite en 1888 à la Commission départementale des antiquités de la Seine-Inférieure, M. Barbier de la Serre voyait dans l'oppidum un camp retranché destiné à appuyer le Château Fouet voisin et un refuge pour une garnison qui n'aurait pu trouver place dans la forteresse. Du peu que nous savons de l'histoire de celle-ci, rien ne permet d'envisager une telle destination. D'autre part, il est manifeste que le dispositif militaire de l'oppidum n'est pas complémentaire de celui du Château Fouet.

En 1901, Léon de Vesly reconnut un fanum gallo-romain à l'intérieur de l'enceinte. Ignorant ou négligeant les remarquables remparts qui dominaient la voie romaine, il conclut alors à un camp retranché de cette époque, formant un carré presque parfait d'une superficie de 25 hectares.

Tout en admettant que l'enceinte primitive pouvait remonter à l'antiquité gallo-romaine et peut-être gauloise et en s'appuyant sur l'Histoire du Parlement de Normandie de Floquet, Henri Saint-Denis faisait état de nouveaux et importants travaux effectués en 1620 par le marquis de La Londe, de connivence avec le duc de Longueville, en vue d'une opposition au gouvernement royal.

Louis Deglatigny a eu la curiosité de vérifier les assertions de Floquet aux archives départementales de la Seine-Inférieure. A la date indiquée, il a bien trouvé un texte dans lequel Orival était citée, mais il s'agissait de l'application d'un arrêt concernant essentiellement le fief de La Londe, pris à la requête du seigneur du lieu, François de Bigard, et visant à vérifier si l'accusation d'avoir enfreint l'interdiction d'élever des fortifications, portée contre ce dernier, était fondée. Il avait été dit aux deux enquêteurs chargés de cette mission qu'ils eussent en passant s'informer soubz main s'il se faisait quelques autres fortifications proche de la rivière Seine, soit dus caste de La Bouille ou devers Oryval. affin d'en advertir la Cour. Nous sommes loin des récits de Floquet et de Saint-Denis.

D'autre part, la mise en cause du duc de Longueville était prématurée, il était gouverneur de la Normandie depuis peu et ce n'est que six ans plus tard qu'il commencera à conspirer contre Richelieu.

Henri Saint-Denis est sans doute le seul à avoir reconnu sur le terrain l'ensemble des ouvrages du dispositif, mais, plus historien qu'archéologue, il s'est entêté à vouloir les rattacher à des faits historiques connus et cela l'a empêché de découvrir leur véritable destination. Son hypothèse d'une route pour bateaux ne résiste pas à un examen quelque peu sérieux : un chemin de ronde, un parapet, un talus, c'est effectivement le profil d'une voie en corniche, mais si l'on y ajoute un fossé cela devient un rempart. D'autre part, il est évident que l'on a fait emprunter aux bateaux d'Henri V un tracé de moindres difficultés, ce qui n'aurait pas été le cas avec celui proposé par Saint-Denis. Avant de découvrir la ligne de fortifications, celui-ci avait d'ailleurs opté pour un itinéraire plus vraisemblable reliant Grand-Couronne au port du Gravier d'Orival en parlant d'une anse de la Seine (l'accul de Couronne) qui permettait aux bateaux d'approcher à 300 mètres de la colline. Un lieu-dit le Carabachet et une voie de 30 mètres de largeur, délimitée par deux talus encore visibles et traversant le plateau en ligne droite, pourraient se rapporter à cet exploit.

Au départ de Grand-Couronne, c'est-à-dire à la partie Nord de l'isthme, au lieu-dit le Petit Grésil, la ligne barrant la presqu'île n'est plus visible entre la Seine et le chemin de fer, mais les anciens plans terriers montrent qu'elle prenait naissance aux marais du Grand Aulnay qui constituaient alors une défense naturelle. Au-delà de la voie ferrée, le tracé suit d'abord la génératrice d'un promontoire très abrupt, puis coupe la route forestière du Grésil, au sommet de la colline, et traverse l'étroit plateau jusqu'au lieu-dit le Chêne à la Bosse où des vestiges gallo-romains ont été fouillés il y a quelques années. Dans cette première partie, l'ouvrage comporte deux levées de terre parallèles, complétées à l'extérieur par un fossé. A l'extrémité Sud, entre deux talus, se trouvait une mare aujourd'hui presque asséchée ; c'est là une disposition que l'on retrouve dans l'oppidum, à la Mare aux Anglais.

La seconde partie — la plus longue — va du Chêne à la Bosse au hameau du Nouveau Monde à Orival. Elle est constituée par un rempart en corniche classique, sauf au Mont à la Chèvre où se trouvait, semble-t-il, une voie d'accès.

L'ensemble du tracé mesurait environ 3.500 mètres. Cette longueur et la légèreté des ouvrages rendaient le dispositif très vulnérable. Ce n'était probablement qu'une ligne de surveillance et de retardement.

A quelle époque ces ouvrages ont-ils été construits ? Cette question reste pour l'instant sans réponse. Ils ne sont vraisemblablement pas postérieurs à la conquête romaine et une origine plus ancienne n'est pas à exclure. Il est possible aussi que l'oppidum soit antérieur au dispositif léger barrant la presqu'île. Mais ce ne sont là que des hypothèses subjectives que seules des fouilles méthodiques et une étude de l'ensemble des ouvrages pourraient permettre de vérifier.

Ce qui apparaît clairement, d'après l'orientation des remparts, c'est que le dispositif défendait l'accès de la boucle. Était-ce une ligne de défense avancée de Ratumacos ? Quel était le rôle de celte presqu'île retranchée de 7.000 hectares au temps des Véliocasses et des Aulerques-Eburovices?

Voilà bien des points d'interrogation ! En archéologie, comme en d'autres sciences, il arrive fréquemment qu'une interprétation nouvelle pose plus de problèmes qu'elle n'en résout. C'est le cas pour celle du système défensif du Rouvray qui conduit  repenser toutes les explications données aux découvertes précédentes.